vie

© Cécile Bonnet

Avez-vous remarqué comme les enfants ne vivent pas le même rapport au temps (et donc à la vie) que nous, adultes ?

Je me souviens du jour où mon père fêtait son 40ème anniversaire, je m’en souviens très bien car le décalage qui s’est produit entre lui et moi ce jour là a été comme un électrochoc pour moi, pour lui aussi d’ailleurs et en 1er lieu car c’est en fait son choc qui a fait naître le mien.

J’ai alors compris une chose : notre vision du temps et donc de la vie était au moins aussi distante l’une de l’autre que l’étaient nos âges. Il venait d’avoir 40 ans, j’en avais 14.
Aujourd’hui que j’ai « rattrapé » et même dépassé son âge d’alors, je peux aisément comprendre ce que la jeunesse et la fougue de mes 14 ans rendaient difficile à concevoir sans une certaine naïveté.

La vie, cet espace temps de découvertes infinies

J’ai toujours été une grande curieuse de tout et mon père avait un pouvoir extraordinaire face à ma soif d’apprendre : il avait réponse à tout, absolument à tout sur tout, encore plus sur ce qui ne s’explique pas aux yeux d’un enfant. Pour moi c’était à la fois magique et tellement réconfortant du haut de mes quelques centimètres : tout pouvait s’expliquer, tout avait une logique, un fonctionnement précis derrière une apparente « complexité ».

De quoi sont composés les éclairs et comment ils se déclenchent ? L’univers a-t-il une fin ? Pourquoi une étoile brille toujours alors qu’elle n’existe même plus ? D’où vient le vent ? Etc.

Quand j’écris ça aujourd’hui, je me dis que vous pourriez penser : « c’est un peu triste, une vie sans mystère où tout a une explication logique». Et vous avez tellement raison !

En fait, j’aimerais que vous compreniez que cela n’enlevait rien à la part de mystérieux avec laquelle j’aimais naviguer dans mon univers.

Il y a en moi une dualité qui équilibre 2 pôles :

Rationnelle …

Je suis très cartésienne, j’aime et j’ai besoin de concret, de matière sur laquelle je peux m’appuyer. J’aime comprendre et pour cela questionner ce que plus personne ne questionne. C’est ma façon de découvrir et de m’émerveiller même devant ce qu’il peut y avoir de plus simple au sens « habituel » de ce qui nous entoure comme la vie d’un arbre ou les cratères de la lune, le soleil qui se couche pour se lever au même instant de l’autre côté de la Terre.

J’aime apprendre, pour moi il y a là quelque chose d’infini qui me comble et nourrit mon besoin d’espace et de possibles. Cela me donne une grande bouffée d’air : il y a tant à découvrir et à savoir pour toujours !

… et créative !

Je suis tout à la fois rêveuse et sensible, avec une imagination sans limites. J’aime justement me dire qu’on ne sait pas encore tout, qu’on ne voit pas tout et que cet inconnu est délicieux, cette part de flou douce et magique.

J’aime inventer, extrapoler, imaginer, dépasser les limites de la réalité : généralement les enfants me prennent soit pour une folle soit pour une demeurée mais ils me regardent toujours d’un regard interrogateur comme figé sur une pensée unique « mais qu’est-ce qu’elle raconte ? ».

Ceci était encore plus vrai avant que je n’ai moi-même des enfants car aujourd’hui ces derniers me connaissent bien et j’ai beaucoup de mal à les surprendre.

Avec leur père, il nous est déjà arrivé de leur demander « Qu’est-ce que vous aimeriez voir en vrai ? ». Leur réponse immédiate comme une évidence « la statue de la Liberté ! » est alors devenue une destination de voyage que nous avons fait quelques mois plus tard, au coeur de la Pomme.

Quand nous avons dit « bingo, on y va ! » leurs yeux se sont écarquillés ronds d’incrédulité et j’ai adoré ce moment où on peut lire dans le regard de ses enfants le pouvoir qu’ils nous reconnaissent, et l’admiration qui va avec, de rendre possible l’improbable, sur un coup de tête, sans avoir d’interminables réflexions raisonnées et raisonnables de grandes personnes sérieuses.

Une vie sans retour

Mais revenons à ce jour précis du 16 décembre 1987 …

Ce jour-là alors que j’apprenais que mon père comptait 40 années à son compteur de vie, une question m’a traversé l’esprit et sans plus de réflexions s’est spontanément formulée à voix haute à son intention :

Alors, qu’est-ce que ça fait, Papa, d’être à la moitié de sa vie ? 

Je n’étais pas ironique, j’étais simplement très avide de connaître la réponse tout bêtement !

Aucun filtre entre ma pensée et mes mots prononcés à voix haute n’avait retenu cette question, tant pour moi elle était détachée de toute incidence émotionnelle. Il s’agissait là d’une nouvelle question scientifico-philosophique et je voyais en ce jour d’anniversaire une formidable opportunité d’explorer la question.

Inutile de vous dire que je n’ai pas eu cette opportunité : en guise de réponse et pour la première fois je crois, je n’ai eu qu’un silence circonspect. Mais ce silence en disait très long finalement.

temps sans retour

© Cécile Bonnet

Mon père a alors très bien pu penser à ce qu’il avait fait de ses 40 années passées. Avait-il été heureux ? Qu’avait-il réalisé ? Avait-il laissé certains de ses rêves de côté ? Où en est-il aujourd’hui ? Je ne saurai jamais …

Ce dont je suis certaine c’est le choc de la pertinence de ma question : son attitude s’est aussitôt figée et il s’est mis comme en retrait. J’avais perdu le contact avec lui.

De mon côté, j’ai senti le malaise me revenir comme un boomerang : je venais de réaliser l’indélicatesse de ma question et l’émotion qu’elle provoquait chez mon père. Même si son silence avait pour objectif de masquer son ressenti, le choc avait été si violent pour lui, autant qu’inattendu en fait, que l’émotion avait tout de même réussi à poindre avant d’être enfouie.

Ne pas attendre la moitié de sa vie pour arrêter de la vivre à moitié

Je ne sais pas si ce jour-là ma question a été un révélateur pour mon père (j’ai souvent des questions directes qui touchent au coeur sans que j’en sois vraiment consciente, en d’autres termes je mets souvent « les pieds dans le plat »). Mais elle m’a permis à moi de comprendre qu’il ne fallait pas attendre la moitié de sa vie pour faire un bilan de parcours et peser ses regrets.

Quel que soit notre âge et là où on se trouve sur notre route puisque nous n’en connaissons pas la fin, vivre sa vie à 200%, rester exigeant avec ce qu’on en attend et s’autoriser la possibilité de se réaliser est un art de vivre qui se cultive jusque dans les recoins de sa routine quotidienne.

Trop souvent j’entends des personnes dire avec beaucoup d’espoir et de libération dans leur voix « quand je serai à la retraite, je ferai ceci, j’irai là, je prendrai le temps pour faire …, je pourrai enfin être … » et cela m’égratine le coeur.

Et pourquoi pas ici et maintenant tant qu’on est vivant ?

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